Il était une fois, le cannabis en Italie !
Le cannabis en Italie : de l’Antiquité au Moyen-âge
A l’origine, la perception du cannabis du côté de l’Italie était plutôt pragmatique et utilitariste, puisque la plante était avant tout considérée comme une ressource, une matière première.
Dans l'Antiquité, l’Italie, ou plutôt l'Empire romain, exploitait largement les fibres solides du cannabis dans la fabrication de cordages pour les navires, de voiles, de vêtements et de divers objets du quotidien. Le chanvre industriel trouvait également sa place en tant que matériau de construction, grâce notamment à ses propriétés isolantes. Le cannabis était donc un matériau de choix, à la fois robuste, abondant, bon marché et polyvalent, indispensable à l'économie de l’Empire.
Bien entendu, le cannabis était déjà un élément important de la pharmacopée et de la médecine traditionnelle italienne, puisque les Romains l’utilisaient déjà pour soulager la douleur et l’inflammation.
Cette utilisation thérapeutique est certes avérée, mais elle est très peu documentée. Seuls quelques médecins et thérapeutes de l’époque ont en effet pris la peine de mentionner le cannabis dans leurs écrits. C’est notamment le cas de Dioscoride, célèbre médecin, pharmacologue et botaniste de l’Antiquité, connu pour son œuvre « De Materia Medica », restée une référence majeure de la médecine pendant plus de 15 siècles.
Au Moyen-âge, la culture du cannabis en Italie allait largement s’intensifier, notamment dans les régions du nord comme la Lombardie, la Vénétie et la Toscane, où les conditions de culture étaient optimales. Le cannabis allait donc consolider son rôle de matière première et de matériau polyvalent dans l’économie florissante de l’Italie :
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L’industrie textile : les fibres de chanvre, résistantes et durables, étaient transformées en tissus pour les vêtements et autres textiles domestiques ;
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Construction navale : le chanvre occupait une place de choix dans la fabrication des cordages et des voiles, en particulier dans les cités-États maritimes comme Venise et Gênes, alors en pleine expansion économique et militaire ;
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Fabrication de papier : dans un pays porté sur la littérature et les sciences, le chanvre a joué un rôle majeur dans le développement du papier comme alternative moins coûteuse au parchemin. En Italie, le chanvre a donc joué un rôle dans la diffusion du savoir et de la culture à une époque où l’accès aux matériaux d’écriture était très limité.
Paradoxalement, à cette période, la législation des pouvoirs publics visait davantage à prévenir les pénuries dans la production de chanvre et à assurer la qualité du cannabis cultivé plutôt qu’à limiter son usage.
Le cannabis en Italie au 19e siècle : l’engouement des scientifiques
Au cours du 19e siècle, l'Italie, à l'instar de nombreux pays européens, connaît une période faste de découvertes scientifiques qui va couvrir naturellement ces plantes médicinales antiques, dont le cannabis.
Giovanni Battista Ercolani, médecin et chercheur émérite, est sans doute le pionnier le plus en vue à cette époque. Il posera les bases d’une compréhension plus approfondie des applications médicales du cannabis et identifiera ses propriétés analgésiques (antidouleur) et sédatives.
Parallèlement, le cannabis commence à apparaître dans diverses publications scientifiques et médicales italiennes. Ces travaux se concentraient principalement sur les effets pharmacologiques du cannabis, notamment son potentiel dans le traitement de la douleur, des spasmes musculaires et même de certaines formes d'épilepsie. Cependant, ces études restaient limitées par les connaissances et les technologies de l'époque. On ne comprend toujours pas le mécanisme d’action du cannabis dans l’organisme.
Malgré cette reconnaissance, l'utilisation médicale du cannabis en Italie restait sporadique et limitée. Elle était souvent entravée par la variabilité des effets entre les différents extraits de cannabis et un manque de consensus sur son utilisation clinique. Comparé à d'autres remèdes de l'époque comme l'opium ou les préparations à base de quinine, le cannabis restait une substance « de niche », souvent utilisée en tant que dernier recours.
Le cannabis en Italie au 20e siècle : les montagnes russes
Dans les premières décennies du 20e siècle, l'Italie est influencée par la période de la prohibition aux Etats-Unis et commence à revoir sa position sur le cannabis. La Convention internationale de l'opium de 1925, qui prônait la réglementation d’une série de substances dont le cannabis, abondera également dans ce sens.
En réponse à ce contexte international, l'Italie commencera à mettre en place des lois et des réglementations qui restreignent la culture, la vente et la consommation de cannabis, officiellement afin de contrôler les substances considérées comme « nuisibles à la santé publique et à l'ordre social ».
Dans les années 1960 et 1970, l'Italie connaît un mouvement de contre-culture où le cannabis devient un symbole de rébellion contre les normes sociales et politiques établies, un peu dans le sillage de mai 68 en France. Ce mouvement a contribué à une hausse inédite de l'usage récréatif du cannabis, en particulier parmi les jeunes.
Ces mouvements sociétaux ont engendré des débats passionnés sur la légalisation et la décriminalisation du cannabis. Des groupes de défense des droits civiques et certains politiciens ont commencé à remettre en question la pertinence et l'efficacité des lois prohibitives. Cet élan s’essoufflera à la fin du siècle.
Le cannabis en Italie, de 2000 à aujourd’hui
Le cannabis à usage médical
L'Italie a légalisé le cannabis à des fins médicales en 2007, dans l’objectif d’apporter aux patients souffrant de sclérose en plaques, de douleurs récalcitrantes associées à certaines pathologies chroniques et de certaines formes d’épilepsie d’avoir accès à des traitements novateurs.
Cette décision s’inscrit dans une tendance qui gagnera les pays d’Europe Occidentale et d’Amérique du Nord pour améliorer la prise en charge des douleurs intenses, surtout lorsqu’elles ne sont pas soulagées par les traitements classiques.
Elle intervient également dans un contexte de hausse des morts subites par abus de médicaments opioïdes. Pour sécuriser la production et la distribution du cannabis médical dans un pays qui a longtemps été gangréné par la mafia, les pouvoirs publics ont décidé d’impliquer l’armée dans la structuration de le contrôle de la filière.
Aujourd’hui, la culture, la vente et l'importation de cannabis médical sont autorisées, mais uniquement sur autorisation du ministère de la Santé. Cette autorisation est accordée aux entreprises ou institutions qui sont en mesure d’apporter toutes les garanties nécessaires sur la chaîne d’approvisionnement. Les médecins agréés par le ministère de la Santé peuvent prescrire du cannabis médical, notamment dans le cadre du soulagement de la douleur et des crises d’épilepsie.
Les médecins italiens peuvent enfin prescrire des « préparations médicamenteuses » contenant du cannabis pour un patient spécifique. L'exercice de ces activités sans les autorisations appropriées est passible d'une peine d'emprisonnement allant de 6 à 20 ans et d'une amende allant de 26 000 à 260 000 euros.
Le cannabis à usage récréatif en Italie
Le statut juridique du cannabis devient encore plus ambigu lorsqu’il s’agit de l’usage récréatif. En réalité, la vente de cannabis est illégale en Italie… mais elle a été décriminalisée. Certaines entreprises ont profité de ce vide juridique pour fabriquer des produits à faible teneur en THC (le principal composé psychoactif du cannabis) et les vendre sous la législation sur le chanvre industriel, qui permet l'utilisation du cannabis à des fins industrielles (les textiles, les tissus, le savon, certains aliments et les matériaux de construction).
En septembre 2021, le ministère de la Santé a déclaré que le cannabis industriel pouvait être utilisé pour approvisionner les entreprises pharmaceutiques, moyennant une autorisation de la part du ministère.
Concrètement, le cannabis peut être utilisé à des fins industrielles en Italie si sa teneur en THC est inférieure à 0,2 %. En vertu de la loi 242 de 2016, les contrôles de police qui détectent du cannabis « pour consommation personnelle » avec un taux de THC compris entre 0,2 % et 0,6 % n’aboutissent plus à une condamnation.
Dans le même sens, la loi 79 en 2014 a classé le cannabis comme « une drogue de faible dangerosité ». La quantité maximale autorisée pour la consommation personnelle est de 1,5 gramme, et tant que cette limite n'est pas dépassée, il n'y aura pas de sanctions… en théorie. Car dans la pratique, la police dans certaines régions peut sanctionner les personnes contrôlées avec une amende de quelques dizaines d’euros.
Le CBD menacé en Italie par le décret du 21 août 2023
L’Italie a toujours été l’un des pays les plus tolérants lorsqu’il s’agit du cannabidiol (CBD) et, plus largement, du cannabis non psychotrope. Aujourd’hui, le CBD peut être librement commercialisé, pour peu qu’il contienne moins de 0.6 % de THC… soit largement plus que la limite en France et au Canada (0.3 %), en Allemagne, au Portugal et en Espagne (0.2 %) ou encore en Suède (0.0 % de THC).
En revanche, le statut légal du CBD a aussi toujours fait l’objet de débats intenses, avec des menaces de la part de la majorité envers les professionnels de la filière. Ces menaces se concrétiseront le 21 août 2023, lorsque le ministère italien de la Santé a publié un nouveau décret au Journal Officiel (Gazzetta Ufficiale) qui annule la suspension d’un ancien décret de 2020. Ce dernier change la catégorisation des préparations contenant du CBD obtenu à partir d’extraits de cannabis. Avec la levée de la suspension de ce décret, le CBD passe dans la section « B », avec le THC, pour être considéré comme « stupéfiant », au même titre que le THC.
Comme on pouvait s'y attendre, cette mesure a suscité une grande levée de boucliers de la part de la filière italienne du CBD et du cannabis légal, notamment de la part de l’Associazione Canapa Sativa Italia, qui affirme que la décision est « dénuée de fondement scientifique » et qu’elle « aura de graves répercussions pour l'Italie ». Extrait du communiqué de l’association :
« Si elle devait entrer en vigueur en l'état, cette disposition aura certainement un impact important sur toutes les entreprises impliquées dans la production, le traitement et la commercialisation d'extraits de chanvre à base de CBD d'origine naturelle, car contrairement aux recommandations de l'OMS, la vente nécessitera un système rigoureux d'enregistrement en tant que médicament auprès du ministère de la santé, une procédure absolument inadaptée à une substance sans risque telle que le CBD ».
L’association a également souligné les incohérences du gouvernement italien, étant donné qu'un tribunal avait annulé en février 2023 un décret restrictif selon lequel les feuilles et les fleurs de chanvre devaient être considérées comme des stupéfiants, quelle que soit leur concentration en THC.
De son côté, la fédération italienne du chanvre, Federcanapa, a déclaré qu'elle allait « évaluer les actions les plus efficaces à entreprendre avec les opérateurs économiques du secteur pour obtenir des garanties du gouvernement sur l'utilisation non seulement pharmacologique des extraits de CBD, mais aussi pour toutes les utilisations autorisées par la loi sur le chanvre industriel ».
La fédération a enfin souligné que le gouvernement ne sera pas en mesure d'empêcher la libre circulation en Italie des aliments et cosmétiques à base de CBD produits dans d'autres pays européens, ce qui signifie que l’interdiction ne portera préjudice qu'aux producteurs locaux.
Cannabis light en Italie : le fiasco « Canapa Mundi »L’édition 2023 du festival « Canapa Mundi », qui devait accueillir plus de 25 000 participants et environ 230 marques de CBD et de cannabis light (moins de 0.2 % de THC), a fait l'objet d'une descente de police qui a procédé à des perquisitions et distribué des amendes. En mars, le gouvernement Meloni a révélé que ces contrôles de plus en plus nombreux faisaient partie d'une nouvelle initiative visant à « sensibiliser aux opérations commerciales autour du cannabis», mais qui, selon les militants, constitue un effort à peine voilé pour réprimer la filière. |